
GENÈVE, LE 15 JUILLET 2021
Le Professeur observait Ornella pendant qu’elle buvait son café. Il sentait que cette jeune femme était désemparée et avait besoin d’aide.
Il ne saurait dire pourquoi il avait soudain décidé de l’aider. Peut-être son charme, qui lui rappelait le temps de sa jeunesse quand ses vieilles partenaires de bridge étaient encore belles... Peut-être aussi son comportement: depuis son arrivée, elle s’était maintenant détendue et pour la première fois, il émanait d’elle une sorte de paix.
Le vieil homme devinait qu’elle avait adopté son appartement, qu’elle s’y sentait en confiance, comme chez elle. Elle aurait aussi bien pu être sa fille...
Tout à ses émotions il avait à peine entendu le début de son récit
Elle expliquait qu’elle ne parvenait pas à comprendre comment son mari avait été emporté d’une façon totalement inattendue par la maladie. Enfin, c’est ce qu’on lui avait dit...
Pourquoi l’alarme ne s’était pas déclenchée à temps ? ...
Et Kim qui avait disparu sans laisser ni trace ni message. Elle aurait tant voulu lui parler...Il avait été le collaborateur le plus proche de Michael. Ils s’entendaient si bien qu’elle en avait même conçu, parfois, de la jalousie. C’était ridicule, elle le savait. Pourtant, jamais, Michael n’avait de conversations aussi soutenues avec elle qu’avec lui.
Elle se tut et revit en silence ce début de soirée où elle avait enfin réussi à lui tirer quelques vers du nez. Le coucher de soleil embrasait le ciel d’une teinte pourpre, presque violette, comme très souvent sur cette île perdue au milieu de l’océan. Ils étaient sortis sur la terrasse pour savourer l’instant en buvant un spritz-apérol qu’ils avaient confectionné ensemble en se réjouissant du bon moment qu’ils allaient passer sur leurs transats. La soirée s’annonçait paisible, le temps s’écoulait en continu, au rythme de leurs pensées, en toute harmonie. Un silence à peine troublé par le choc des glaçons dans leurs verres et, au loin, de l’autre côté de la bambouseraie, par un ressac discret qui, de ce côté de l’île n’était jamais très puissant.
Tout aurait pu continuer sans heurt, si, soudain, Ornella n’avait pas demandé :
– Est-ce que je peux enfin savoir ce que vous faites vraiment, dans ce laboratoire ?
– Je te l’ai déjà dit: nous travaillons sur des virus.
– D’accord, mais vous en faites quoi de ces virus ?
Il avait mis un certain temps pour répondre :
– Ce sont des recherches sur un virus mutant que nous devons parvenir à
rendre plus stable
– Dans quel but ?
–Aucune idée ! On ne me l’a pas dit !
Ornella s’était énervée :
– Alors tu travailles sans savoir à quoi vont servir tes recherches ?
– Écoute, je suis très bien payé, mon travail est passionnant, et on m’a bien
fait comprendre que la finalité ne me regardait pas. Alors je ne pose pas de question.
– Tu n’es pas curieux ?
– J’ai bien une petite idée... j’imagine qu’avec un virus stable, on pourrait obtenir un vaccin bien plus efficace.
Il avait hésité à poursuivre.
Après un temps d’arrêt, il avait lâché :
– Ma mission consiste à produire une culture de virus sans mutants. Il en
était resté là et n’avait ni révélé la raison de la plantation de tabac, ni, en fait, le plus important.